Lettre ouverte sur la vision de l'agriculture et de l'alimentation
- beelifeeu
- 12 décembre 2024
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Mise à jour : 5 février
Suite aux élections européennes de cette année, la Commission européenne est en train de former son cabinet. Cristophe Hansen (Luxembourg, Parti populaire européen - PPE) a été nommé commissaire à l'agriculture et à l'alimentation. Le nouveau mandat de la Commission est marqué par le poids des promesses et des engagements passés pour "réparer" le modèle agricole de l'UE, en restructurant son vaste budget pour améliorer les conditions des agriculteurs et atteindre les objectifs de durabilité dans le cadre de la stratégie "de la ferme à l'assiette".
La nouvelle Commission élaborera une nouvelle feuille de route politique sous la bannière "Vision pour l'agriculture et l'alimentation". Anticipant cette évolution, un groupe d'ONG de protection de l'environnement et des consommateurs (dont BeeLife) s'est associé pour apporter sa contribution à ce que devrait être la vision pour l'avenir. Dans une lettre ouverte adressée au commissaire Hansen, les ONG soulignent l'importance de :
Rendre les prix équitables pour les agriculteurs et les consommateurs, lutter contre les pratiques commerciales préjudiciables
Faire en sorte que les consommateurs fassent facilement le choix de la santé et du développement durable
Réformer la politique agricole commune afin d'aider les agriculteurs qui en ont le plus besoin et de soutenir ceux qui s'engagent effectivement dans des pratiques durables.
Soutenir la transition écologique par des mesures de financement appropriées
Le texte intégral de la lettre ouverte est disponible ci-dessous et peut être disponible en téléchargement:
Lettre ouverte sur la vision de l'agriculture et de l'alimentation
Bruxelles, le 9 décembre 2024
Monsieur le Commissaire à l'agriculture et à l'alimentation Christophe Hansen,
Cc : Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, vice-présidente exécutive pour un environnement propre, juste et équitable.
T eresa Ribera, vice-présidente exécutive chargée de la cohésion et des réformes Raffaele Fitto, commissaire chargée de l'environnement, de la résilience de l'eau et d'une économie circulaire compétitive Jessika Roswall, commissaire chargée du climat, de la croissance nette zéro et de la croissance propre Wopke Hoekstra, Commissaire au budget, à la lutte contre la fraude et à l'administration publique Piotr Serafin, Commissaire à la santé et au bien-être animal Olivér Várhelyi, Commissaire à la pêche et aux océans Costas Kadis, Commissaire à l'équité intergénérationnelle, à la jeunesse, à la culture et au sport Glenn Micallef.
Je vous félicite pour votre nomination en tant que commissaire à l'agriculture et à l'alimentation. Bien qu'il soit difficile de s'y retrouver dans la complexité des secteurs de l'alimentation et de l'agriculture, votre mandat peut apporter des changements positifs significatifs à nos sociétés et à l'environnement. Nous nous réjouissons de travailler avec vous de manière constructive sur l'avenir des systèmes agricoles et alimentaires de l'UE.
Nous, les organisations soussignées, sommes un groupe diversifié de groupes de la société civile, d'organisations d'agriculteurs et de pêcheurs, et d'instituts politiques qui soutiennent la transition vers des systèmes alimentaires durables et agroécologiques.
Nous vous écrivons pour vous offer notre contribution à la Vision pour l'agriculture et l'alimentation qui sera développée au cours de vos 100 premiers jours. En outre, nous aimerions avoir l'occasion de vous rencontrer pour nous présenter et discuter plus en détail de vos projets pour ce mandat. Notre système alimentaire est confronté à plusieurs défis. Certains agriculteurs luttent pour être payés équitablement pour leur travail, dans un système où les pratiques commerciales déloyales sont légion. Certains consommateurs ont du mal à accéder et à acheter des aliments sains et produits de manière durable. Parallèlement, la société est aux prises avec la triple crise planétaire du changement climatique, de la perte de biodiversité et de la pollution, à laquelle le système alimentaire actuel - qui repose souvent sur des pratiques agricoles intensives compromettant le bien-être des animaux - est à la fois contributeur et victime.
La vision pour l'agriculture et l'alimentation doit définir la direction à suivre et inclure un plan de travail concret pour relever ces défis. Elle doit s'appuyer sur l'ensemble des recommandations du dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture européenne et sa mise en œuvre nécessitera une étroite collaboration avec vos collègues de l'ensemble du Collège. La vision doit défendre une approche intégrée des systèmes alimentaires, couvrant l'ensemble de la chaîne, de la production à la consommation, et responsabiliser toutes les parties prenantes, y compris les acteurs commerciaux tels que les négociants, les transformateurs et les détaillants, afin de garantir une transition équitable et effective, sans faire peser le fardeau uniquement sur les agriculteurs et les pêcheurs.
Cinq domaines de travail critiques sont particulièrement importants pour nous, d'après le dialogue stratégique :
Des prix équitables pour les agriculteurs et les consommateurs
Tous les agriculteurs et travailleurs agricoles devraient avoir des revenus décents et être rémunérés équitablement pour leur travail. Les pratiques commerciales déloyales doivent être combattues afin que les agriculteurs puissent recevoir des revenus décents du marché et ne soient pas obligés de vendre systématiquement leurs produits à des prix inférieurs aux coûts de production. Un observatoire de la chaîne agroalimentaire qui fonctionne bien est essentiel à cet égard, car il peut assurer la transparence des prix, des coûts et des marges tout au long de la chaîne alimentaire.
Le coût de la vie est la principale préoccupation de nombreux consommateurs. Les réductions de TVA sur les produits plus durables peuvent contribuer à l'accessibilité et à la promotion d'un rééquilibrage des régimes alimentaires pour inclure davantage d'aliments d'origine végétale. Toutefois, il est essentiel de veiller à ce que cet avantage profite aux consommateurs et ne soit pas absorbé par les détaillants.
Faire en sorte que le choix de la santé durable soit facile à faire pour les consommateurs
Ce que nous mangeons est largement influencé par l'environnement alimentaire qui nous entoure. Il est donc nécessaire de mettre en place des politiques axées sur la demande qui rendent les aliments durables et sains largement disponibles, abordables, attrayants et facilement reconnaissables pour les consommateurs. Les marchés publics de denrées alimentaires recèlent un potentiel inexploité considérable pour lutter contre la pauvreté alimentaire, proposer des options saines et durables et promouvoir une éducation alimentaire susceptible d'influencer les habitudes alimentaires des ménages. Ils peuvent également soutenir les petits agriculteurs, encourager les pratiques biologiques et agroécologiques et stimuler la compétitivité. La mise à jour de la directive sur les marchés publics afin d'encourager les États membres à acheter des aliments durables, sains et à haute valeur ajoutée dans les institutions publiques en donnant la priorité à la "meilleure valeur" plutôt qu'au "prix le plus bas" peut contribuer à la réalisation de ces objectifs (voir également le Manifeste sur les normes minimales obligatoires pour les cantines publiques élaboré par certaines de nos organisations).
L'élaboration d'un plan d'action pour les aliments d'origine végétale d'ici à 2026 peut renforcer les chaînes agroalimentaires à base de végétaux, depuis les agriculteurs jusqu'aux consommateurs, et aider ces derniers à adopter des régimes alimentaires sains et durables. En outre, il est essentiel d'évaluer, d'ici à 2026, les mesures nationales et les engagements volontaires de l'industrie concernant la commercialisation d'aliments malsains auprès des enfants ; si ces mesures s'avèrent inadéquates, il convient d'introduire une législation européenne pour réglementer cette commercialisation.
Réformer la PAC pour aider les agriculteurs qui en ont le plus besoin et soutenir ceux qui s'engagent manifestement dans des pratiques durables.
Actuellement, la PAC ne parvient pas à soutenir la transition vers des systèmes agroécologiques à l'échelle et à la vitesse dont nous avons besoin. Elle devrait être révisée pour cibler ceux qui en ont le plus besoin, en particulier les petites exploitations et les nouveaux arrivants, y compris les femmes, tout en garantissant les meilleures pratiques environnementales, sociales et de bien-être animal possibles de manière quantifiable. Nous avons été heureux de constater que cette recommandation du dialogue stratégique a été reprise par la présidente von der Leyen dans votre lettre de mission et nous nous réjouissons de travailler avec vous à sa réalisation.
Veiller à ce que les systèmes alimentaires et les pratiques agricoles soient respectueux de la nature et du climat
Nous partageons votre engagement en faveur du renouvellement des générations dans le secteur agricole. Cependant, alors que nous assurons la transmission des exploitations familiales à la génération suivante ou que nous accueillons de nouveaux venus dans le secteur, nous devons également veiller à ce que le type d'agriculture puisse durer des générations. De nombreuses pratiques agricoles contribuent à la triple crise planétaire du changement climatique, de la perte de biodiversité et de la pollution, et toutes sont vulnérables à leurs impacts. La législation environnementale existante doit être pleinement appliquée, y compris la loi sur la restauration de la nature. La création d'un Fonds de restauration de la nature peut aider les agriculteurs à mettre pleinement en œuvre cette législation et à renforcer la résilience de leurs terres.
La directive sur l'utilisation durable des pesticides doit être pleinement mise en œuvre sans délai, afin de garantir que les pesticides ne soient réellement utilisés qu'en tout dernier recours dans le cadre de la lutte intégrée contre les ravageurs (IPM), et de protéger les citoyens et l'environnement contre les pesticides. Les pratiques biologiques et agroécologiques démontrent qu'il est possible d'être économiquement viable et de cultiver dans les limites de la planète. Ces pratiques devraient occuper une place centrale dans votre vision.
Les systèmes alimentaires et les pratiques agricoles durables peuvent et doivent contribuer à la réalisation d'un objectif ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Objectif climatique pour 2040.
Comme vous l'avez noté dans votre confirmation d'audience, l'élevage est responsable de la grande majorité des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole. Votre action devrait se concentrer sur les zones à forte concentration de bétail et sur la manière de les faire passer à des pratiques d'élevage durables avec une réduction du poids des groupes d'animaux d'élevage.
Les agriculteurs et l'ensemble de la chaîne de valeur doivent bénéficier de voies de transition claires qui tiennent pleinement compte des limites planétaires. Comme le souligne le dialogue stratégique, les solutions techniques ne permettront pas d'atteindre les réductions d'émissions nécessaires. Une véritable transformation vers un élevage holistique est nécessaire, basée sur des niveaux élevés de bien-être animal, en accord avec la capacité de charge de la terre, régénérant ainsi les paysages agricoles en intégrant les animaux dans les terres agricoles et en permettant à la nature de s'épanouir.
Soutenir la transition par le biais d'un fonds de transition juste agroalimentaire
Les agriculteurs auront besoin d'un soutien financier pour s'éloigner de l'élevage industriel (voir ci-dessus). Ce soutien devrait être fourni par le biais d'un Fonds de transition juste agroalimentaire spécifique, établi en dehors de la PAC. La modernisation des règles communautaires obsolètes en matière de bien-être animal concernant l'élevage et la mise à mort des animaux, ainsi que l'étiquetage, y compris dans les systèmes d'aquaculture, est un élément clé du travail inachevé de la dernière législature. Elle est également réclamée par les citoyens européens, comme le montre l'ICE "End the Cage Age" (mettre fin à l'âge de la cage). La finalisation de ces règles permettra aux agriculteurs d'avoir la certitude nécessaire pour réaliser des investissements durables, mais ils auront également besoin de soutien. Ces deux éléments devraient être au cœur du soutien apporté par le Fonds de transition juste agroalimentaire.
Nous saluons votre engagement à explorer l'accès au financement via le Fonds de transition juste existant, car il n'y a pas de temps à perdre ; cependant, tout financement de transition juste doit être lié à des objectifs clairs visant à abandonner l'élevage industriel et à améliorer les normes en matière de bien-être animal.
Plusieurs des questions soulevées dans cette lettre s'appliquent également à la pêche et à l'aquaculture, notamment la nécessité d'adopter une approche systémique des systèmes alimentaires et de permettre aux consommateurs de faire des choix durables. Bien que le dialogue stratégique n'ait pas abordé cette question, nous considérons qu'elle fait partie intégrante de la vision en matière d'alimentation et nous souhaitons qu'elle soit prise en compte.
Compte tenu des multiples crises auxquelles sont confrontés les secteurs de l'alimentation et de l'agriculture, il n'y a pas de temps à perdre pour accélérer la transition vers des systèmes alimentaires durables. Nous avons été profondément déçus par les récentes actions de la Commission, qu'il s'agisse des réformes antidémocratiques et malavisées de la PAC adoptées en début d'année, de la mise en veilleuse de la loi sur les systèmes alimentaires durables ou du retrait du règlement sur l'utilisation durable des pesticides. Nous espérons sincèrement que l'esprit de coopération du dialogue stratégique représente un nouveau mode de collaboration. Un conseil européen de l'agroalimentaire (EBAF) pourrait servir à soutenir ce nouveau mode de travail coopératif, mais sa composition devrait refléter le système alimentaire dans son ensemble et à tous les niveaux de gouvernance, s'appuyer sur le dialogue stratégique, et ses procédures devraient garantir une véritable participation qui produise des résultats tangibles.
La production alimentaire européenne n'est pas isolée, mais s'inscrit dans les systèmes agroalimentaires internationaux. Par le dialogue et la coopération, l'UE peut également mener une transformation durable au-delà de ses frontières.
Nous serions heureux de vous rencontrer pour discuter de la vision et de vos projets.
pour les cinq prochaines années.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de mes sentiments distingués,
Coalition d'ONG